Etienne de VIGNOLLES, dit La Hire.

La Hire semble avoir vivement frappé l'imagination de ses contemporains Bien qu'il ne s'agisse pas de quelqu'un ayant assumé de hautes responsabilités politiques - il n'était probablement pas assez intelligent pour cela - il a compté parmi ses soldats une bonne partie des personnages importants du règne de Charles VII et de Louis XI, comme si passer à l'école de La Hire était un bonus dans la carrière d'un officier royal. Ce petit noble d'origine gasconne est certainement le meilleur combattant et le meilleur capitaine de l'armée de Charles VII. Il est spécialisé dans les opérations militaires effectuées très en profondeur dans les territoires ennemis et dans les opérations de reconnaissances en avant des armées. C'est en quelque sorte l'équivalent d'un commando. Si sa fidélité envers le roi ne semble pas avoir jamais été démentie, il n'est pas pour autant d'un maniement facile, ce n'est pas un fanatique, et il ne perd jamais de vue son intérêt personnel. Ainsi, avant la campagne de Montargis, refuse-t-il de se mettre en route avant d'avoir perçu sa solde. De toutes façons, il se paye aussi en nature sur les habitants rencontrés, qu'ils soient amis ou ennemis sans distinction : c'est ce qu'on appelle un écorcheur. On lui attribue la paternité d'une citation significative : "Un pillage sans incendie, c'est comme une andouillette sans moutarde". D'ailleurs les écorcheurs étaient réputés pour la finesse de leur humour : la grande blague qu'ils affectionnaient étaient de violer les paysannes sur les huches à pains dans lesquelles ils avaient préalablement enfermé le mari.

Sans qu'on puisse parler de cruauté sadique, il est parfaitement indifférent à la vie de ses adversaires : attaqué par surprise et par trahison dans le château de Coucy dont il s'était emparé, son premier geste est de faire égorger une soixantaine de ses prisonniers. Increvable, il boitait à la suite d'un incident bénin : dans une auberge, un soir, une cheminée s'était écroulée sur lui. Tout autre serait sans doute mort ; mais il s'en tira avec une jambe cassée. Son exemple est cité avec admiration par un de ses pairs, qui fut aussi un de ses subordonnés, Jean de Bueil, qui le dépeint sous les traits du "Jouvencel" dans un roman à clé : ses hommes, peu nombreux, étaient parfaitement entraînés, alors que dans une armée la moitié des combattants n'était souvent pas en état de charger à la lance, sa troupe chargeait d'un seul bloc irrésistible, les cavaliers étant si rapprochés "qu'il ne fust pas cheu une pomme que sur les lances". Il semble qu'il n'ait jamais eu plus de 60 lances sous ses ordres, ce qui représente d'ailleurs une troupe non négligeable. On retrouve ce chiffre à Montargis en 1427 et à Patay en 1429.

La Hire était aussi célèbre par ses jurons, mais, bien que sa culture religieuse ait sans doute été des plus légères, ce n'était pas un incroyant, ce qui facilitera ses rapports avec Jeanne d'Arc.

La Hire avait trois frères, qui firent partie de sa compagnie : Argnault-Guilhem, Peire-Argnault, Amadoch. Peire-Arnaud semble avoir été un bâtard, et c'est peut-être lui qui est appelé le Bourg de Vignolles (le mot bourg signifiant bâtard). Les armées de Charles VII regorgent de bâtards qui ont leur fortune à faire, car ils n'héritent que du dixième de ce à quoi ils auraient droit s'il étaient légitimés. Ces bâtards sont soit les enfants de concubines prises entre deux veuvages, soit des enfants issus d'un deuxième foyer. Toutes les maisons nobles de ce temps semblent avoir fourni des bâtards : Bourgogne, France, etc., il y a même trois bâtards de Bourbons, dont l'un finira évêque, et un autre sera noyé pour ses crimes de guerre. Un adage du temps dit : "Bâtards de rois sont princes, bâtards de princes sont gentilhommes". Cet adage, qui concerne par exemple le Bâtard d'Orléans futur comte de Dunois, ne concerne pas les bâtards de gentilshommes, qui ont à faire leur propre chemin.

Il est né vers 1390, en un lieu encore discuté, mais situé dans le Landes, soit Hinx, soit Préhacq. Son vrai nom est Etienne de Vignolles. Son surnom de La Hire n'est pas expliqué. Il était courant que les hommes d'armes portent un surnom qui pouvait provenir d'une caractéristique physique, d'un défaut caractéristique ou d'un nom de lieu. L'explication la plus répandue est que La Hire vient du caractère coléreux (l'ire en ancien français) d'E. de Vignolles, mais on peut supposer aussi une référence à son origine géographique : Hinx, ou deux localité située près de Vignolles : la Hite ou Larehille.

Sans qu'on sache trop de choses sur son parcours de jeunesse, on peut noter que les lieux de ses premiers exploits se situent dans les territoires ayant appartenu au duc Louis d'Orléans : Coucy, le Luxembourg. On peut supposer qu'il y est venu dans les bagages du comte d'Armagnac, beau-père et commandant des troupes du duc Charles d'Orléans. C'est en 1418 qu'on le trouve mentionné pour la première fois : il tient garnison à Coucy en compagnie de Pierre de Xaintrailles. Lors de la reprise de Coucy par les Bourguignons, Pierre de Xaintrailles se fit tuer. Dès lors on voit souvent La Hire opérer en compagnie de Jean Poton de Xaintrailles, frère du défunt. La prise de Coucy fut assez rocambolesque : une servante du château s'était éprise d'un des prisonniers, pour le libérer, elle avertit les Bourguignons de se tenir prêts, déroba les clés de la ville que la Hire gardait dans sa chambre, en profitant de son sommeil, et ouvrit les portes. Averti par le bruit de l'assaut, La Hire tenta de repousser les assaillants en contre-attaquant presque seul, mais, forcé de battre en retraite, il fit égorger ses prisonniers.

En 1419 il s'empare de Crépy, du Crotoy, mais il en est chassé par Philippe le Bon en janvier 1420. Il opère alors plus à l'est, et ravage la Lorraine : il y était venu avec le capitaine Jean Raoulet pour soutenir René d'Anjou, héritier du duc Charles de Lorraine, attaqué par le duc de Bourgogne (c'est le moment, semble-t-il, où la famille de Jeanne se replie sur Neufchâteau).

Mais en 1422 Charles de Lorraine change d'alliance et se rallie au duc de Bourgogne et au roi d'Angleterre, La Hire et Raoulet brûlent alors 18 villages à une soixantaine de kilomètres de Domremy. A Sermaize, le mari de la cousine germaine de Jeanne d'Arc est raflé par les Bourguignons pour combler les douves d’une place forte prise par les Français. Il est tué d'un coup de couleuvrine par un homme de La Hire. Ce dernier est ensuite repoussé à Saint-Dizier. Il opère alors à partir de Compiègne. Capturé, il paye rançon.

En 1423, il attaque Châlons-sur-Marne.
En 1424, il évacue Vitry-le-François, ravage les marches du Luxembourg (Longwy, Flassigny, Verdun, Sedan). Puis se retire en direction du Maine. En 1426 il est nommé écuyer d'écurie de Charles VII, c'est à dire qu'il est désormais recruté à titre permanent comme subordonné des maréchaux de France, eux-mêmes adjoints au connétable.
Il est mentionné en 1427 à la "rescousse de Montargis" : il y assure la reconnaissance des forces anglaises pour le compte du Bâtard d'Orléans avec 60 lances, dont le sgr de Graville, Brangonnet d'Arpajon, Saulton de Mercadieu. Avant l'assaut, il avise un chapelain à qui il demande de lui donner l'absolution en vitesse, car il n'a pas de temps à perdre, et en guise de confession lui dit qu'il a fait "ce que les gens de guerre ont accoutumé à faire", ce qui n'est pas peu dire. En manière de prière, La Hire dit alors : "Dieu, je te prie que tu fasses aujourd'hui pour La Hire autant que tu voudrais que La Hire fit pour toi, s'il était Dieu et que tu fusses La Hire". L'attaque, vigoureusement menée, est une victoire, dont le mérite est attribué à La Hire. Au cours du combat, Saulton de Mercadieu fut frappé d'une lance qui lui traversa la bouche. Il la retira lui même et poursuit la lutte. Certains récits, comme le Recueil des Miracles de Sainte-Catherine de Fierbois, nous renseignent sur des blessures extraordinaires subies par certains de ces hommes d'armes. Un homme d'arme frappé d'un trait d'arbalète profondément fiché dans la bouche (mir. 73). Un homme d'arme frappé de deux coups de lance, un sous l'aisselle et un de part en part au travers du poumon (mir. 77). Un prisonnier noble frappé de trois coups d'épées sur le cou et qui s'en tire sans dommage (mir. 101). Un archer qui prit une flèche dans le front à Azincourt la garda huit ans dans le crâne avant qu'elle ne ressorte par la bouche (mir. 113). Un chasseur frappé d'un trait d'arbalète sous le menton, trait ressorti par le dessus de la tête mais resté fiché en partie dans le crâne (mir. 116). Un homme d'armes du Mont-Saint-Michel fut blessé au cours d'une sortie : une lance traversa l'arçon de sa selle et le cloua par les testicules à sa selle : il cassa la lance au ras de l'arçon et retourna dans la ville ou on le décloua (mir. 139). Un homme d'arme blessé d'un coup de couleuvrine dans la jambe (mir 145). Un écuyer frappé de 24 blessures, dont trois transfixantes, en trois rencontres (mir. 160). Un homme éventré d'un coup d'épieu (mir. 167). Un homme d'arme blessé à St Jacques de la Birse (26 août 1444) en 16 endroits, laissé pour mort par les Suisses qui anéantirent sa compagnie (mir. 170). Un ménestrel frappé d'une flèche dans le crâne (mir. 180). Un homme d'arme blessé au cou, à la tête et aux jambes par des brigands (mir. 194). Un arbalétrier blessé d'un vireton dans le ventre. Le plus surprenant n'est pas l'aspect atroce ou spectaculaire de ces blessures, mais le fait qu'ils aient pu survivre malgré le caractère superficiel de la médecine du temps.

En 1428, avec d'autres capitaines : Beaumanoir, d'Orval, de Bueil, Roberton des Croix, La Hire attaque et prend Le Mans, mais en est chassé par Talbot. Il arrive à Orléans le lundi qui suit la prise des Tourelles par les Anglais, soit le 25 octobre. Il participe à la Bataille des Harengs.
En 1429 il est présent lors de l'arrivée de Jeanne, commande la seconde armée de secours entre Blois et Orléans, et lors de la levée du siège, passant outre les désirs de Jeanne, il poursuit les Anglais en retraite jusqu'à Beaugency, les obligeant à abandonner leurs prisonniers et leur artillerie. Le 18 juin, à Patay, il commande l'avant-garde avec Xaintrailles et Boussac, où ils bousculent, avec 180 hommes, toute l'armée anglaise forte de 3.000 à 4.000 combattants. Puis il participe à toute la campagne du sacre.

En 1431, il s'empare de Louviers, à quelques kilomètres de Rouen, et y reste pendant toute la durée du procès de Jeanne. Il est possible qu'il ait mis sur pieds à ce moment là un plan d'attaque du château de Rouen, car en 1432 un certain Ricarville réussit effectivement à s'emparer du château du Bouvreuil, mais ne réussit pas à en ressortir. Au lendemain de la mort de Jeanne d'Arc, les Anglais battent La Hire à la bataille du Berger, ainsi appelée parce qu'un berger, remplaçant de Jeanne d'Arc, y fut pris et noyé par les Anglais. La Hire fut envoyé en prison à Dourdan, dont il s'évada quelque temps plus tard, peut-être avec la complicité même de son geôlier, Jean de Mazis.

De 1433 à 1435 il fut nommé capitaine de Beauvais, et en 1435, à Gerberoy, il coince et défait en bataille rangée le comte d'Arundel, qui mourra peu après de ses blessures.

Fait seigneur de Montmorillon en janvier 1436, il épouse Marguerite de Droisy, dont il n'aura pas d'enfant. Il semble prendre sa retraite à partir de ce moment. Il meurt le 11 janvier 1443 à Montauban, et son corps est enterré à Montmorillon, où son gisant fut endommagé en 1562 et détruit en 1794.