Pierre CAUCHON (1371-1442)

Né vers 1371 à Reims, Pierre Cauchon appartient à une famille de bourgeoisie notable, mais la branche de sa famille est modeste. On ne sait rien de son enfance. Maître ès Arts vers 1391, puis licencié en décret en 1398, il entre ensuite à la faculté de théologie. Il ne semble pas qu'il ait jamais obtenu de grade en théologie, et ses études ont dû s'interrompre en 1407. Il exerce assez tôt des responsabilités : de 1391 à 1397, il est doyen d'un collège (l'Université étant en fait un conglomérat de collèges, dans lesquels les professeurs enseignaient et parfois résidaient). En 1397 et 1405, il est recteur de l'Université, dignité limitée à trois mois, mais reconductible.
En 1403, encore simple diacre, il est curé d'Egriselles (dans le diocèse de Sens), mais il paraît probable qu'il se contente d'en toucher la prébende sans y résider, d'autant plus qu'il n'a pas encore les ordres majeurs, et ne peut donc célébrer la messe.
En mars 1407 il est envoyé avec une ambassade de l'Université auprès du pape d'Avignon ; le 17 juillet, l'ambassade rencontre le pape de Rome. Le 23 novembre 1407, le duc d'Orléans est assassiné. Il semblerait que Cauchon ait alors quitté Paris en même temps que le duc de Bourgogne, abandonnant à la fois ses études et ses charges.
Le 8 février 1409, Cauchon entre au conseil du duc de Bourgogne, il obtient également un canonicat à Reims et à Beauvais. Il est vidame de Chartres en 1410.
En 1411, le duc de Bourgogne reprend le pouvoir à Paris : une commission, dont Pierre Cauchon fait partie, est chargée de juger les Armagnacs (partisans du duc d'Orléans) les plus notoires. Ceux qui peuvent payer une rançon en échappent, les autres disparaissent définitivement.
En 1413, les Etats généraux se rassemblent à Paris, une commission, dont fait partie Pierre Cauchon, est chargée de rédiger une réforme administrative, c'est ce que l'on appellera l'Ordonnance cabochienne, du nom du chef de la révolte populaire qui éclate à ce moment là : le nombre d'officiers royaux est diminué, pour les rendre mieux contrôlables ; le domaine privé du roi est confondu avec les finances de l'Etat, afin de permettre au duc de Bourgogne de mieux puiser dans la caisse ; les réseaux parlementaires sont menacés, pour diminuer l'opposition au duc. En fait, l'ordonnance, discréditée par les excès des cabochiens, ne sera jamais appliquée car les Armagnacs reprennent le contrôle de Paris dès le mois d'août, et Pierre Cauchon s'exile à nouveau.
De janvier 1414 à mars 1418, il fait partie de l'ambassade bourguignonne au concile de Constance. Il y assiste au procès et à l'exécution de Jean Hus : la doctrine du théologien tchèque avait été résumée en 59 articles, dont certains n'avaient pas été énoncés par lui. Comme il avait refusé de renier ce qu'il n'avait pas enseigné, il fut brûlé le 6 juillet 1415, le procédé a peut-être impressionné Cauchon.
Le 14 juillet 1418, le duc de Bourgogne rentre de nouveau à Paris, avec Pierre Cauchon dans ses bagages. Celui-ci est employé à plusieurs reprises comme port-parole du duc auprès du Parlement ou auprès de l'Université. Il cumule divers bénéfices ecclésiastiques et les charges de maître des requêtes du roi et de garde du petit sceau (vice-chancelier). Il est alors à l'apogée de sa puissance, position qui sera remise en partie en question par l'assassinat de Jean Sans-Peur le 10 septembre 1419. Il participe à l'élaboration du traité de Troyes qui reconnaît, le 21 mai 1420, la transmission du trône de France à la famille d'Angleterre après la mort de Charles VI (le traité est d'ailleurs rédigé par Jean de Rynel, son neveu par alliance). En août, il est désigné par le pape comme évêque de Beauvais.
Le 12 janvier 1421, il est intronisé comme évêque de la ville en présence du nouveau duc de Bourgogne. Cette nouvelle dignité va l'éloigner, géographiquement et politiquement, de Philippe le Bon, qui choisit de ne pas risquer d'affronter les Anglais pour garder Paris, et oriente sa politique vers la formation d'une entité politique à l'est de la France. Il se rapproche des Anglais : il siège au conseil du roi d'Angleterre dès le 4 juin 1422, le lendemain de la capitulation du marché de Meaux. Jusqu'en 1424, il est chargé, par Henri V puis par Bedford, de négocier la reddition de diverses places aux mains des Armagnacs. Puis il est chargé, jusqu'en 1429, de la levée de divers impôts, taxes et décimes, en Normandie et en Champagne. En août 1429, il doit fuir Beauvais, qui se rend à Charles VII. Il part alors en Angleterre, chargé par Bedford et l'Université de convaincre l'entourage de Henri VI de faire venir le jeune roi en France. Après la capture de Jeanne d'Arc, il est chargé de réunir les fonds pour son rachat, puis de la juger, car elle a été capturée dans le ressort de l'évêché de Beauvais. Après l'exécution de Jeanne, il est nommé à l'Echiquier de Normandie (organisme chargé des finances normandes). En décembre 1431, il participe, en tant que pair de France, au sacre de Henri VI à Paris. En septembre 1432, il est transféré à l'évêché de Lisieux. En août 1434 il est envoyé comme ambassadeur de Henri VI au concile de Bâle. Il s'y trouve excommunié ! En effet, il n'avait pas payé les annates dues pour son accession à l'évêché de Lisieux. Il est finalement absous, après avoir payé 2250 florins. De Bâle, il se rend ensuite à Arras, où il se trouve le 5 août 1435. C'est un échec pour les Anglais, car le duc de Bourgogne et le roi de France se réconcilient le 21 septembre. Une semaine plus tard, le duc de Bedford meurt de maladie, il sera remplacé dans la charge de régent par le comte de Warwick. En 1436, Cauchon est chargé, avec d'autres, de la mise en route de la nouvelle université de Caen, ce qui ne va pas sans provoquer des heurts entre lui et l'Université de Paris. Mais cette décision a été prise par Henri VI à la suite de la reprise de Paris par Charles VII. A partir d'octobre 1438, et jusqu'en mars 1440, il participe aux conférences de Gravelines et de Calais pour la paix entre l'Angleterre et la France. Epuisé par l'âge, il se limitait désormais à quelques arbitrages ecclésiastiques à Rouen. Le 18 décembre 1442, il meurt à Rouen à l'âge de 71 ans.

Eternel second, il fut surtout chargé d'ambassades et d'administration financière. Très attaché à ses principes, il fut un excellent évêque de Lisieux. Il ne s'enrichit que moyennement et destina, dans son testament, la plus grande partie de ses biens à l'édification, à Lisieux, d'une chapelle consacrée à la Vierge, où se trouve sa sépulture. Sa pierre tombale fut détruite en 1783 pour laisser la place à la sépulture de monseigneur de Condorcet, mais le caveau contenant le cercueil de Pierre Cauchon ne fut pas endommagé. Sa tombe fut fouillée en avril 1931. Le squelette de Cauchon fut toisé : il mesurait 1,68 mètre. Son anneau pastoral et sa crosse épiscopale furent déposés au musée de Lisieux, où ils furent détruits lors du débarquement de mai 1944 ; mais le corps de Pierre Cauchon repose toujours dans sa chapelle.

Cauchon n'était pas un spécialiste des procès d'hérésie, c'était avant tout un administrateur financier et un ambassadeur, pas un théologien : nous n'avons de lui aucun traité religieux, aucune consultation théologique. En cela, il est totalement différent de Gerson, son collègue à l'Université, ou de Jacques Gelu, archevêque d'Embrun. Au début du procès il prit donc grand soin de s'entourer de gens compétents, et de solliciter leur avis. Il n'est pas impossible qu'il s'agissait du premier procès d'hérésie qu'il ait eu à diriger : en effet, si les procès religieux sont de la compétence de l'évêque, en pratique, ils étaient souvent délégué à un juge religieux, l'official.

Son plus grand souci fut de faire un beau procès, d'où la longueur de la procédure. Il procéda avec un soin qu'on pourrait qualifier de maniaque, si l'absence de procédure bien définie ne laissait pourtant comme une impression de flou et d'improvisation. Mais cette impression ne signifie pas que le procès fut bâclé, bien au contraire ; simplement qu'il n'y avait pas de règle absolue en matière de procès d'inquisition. Le soin de Cauchon se voit dans l'importance qu'il accorda à la progression par étape : se faire accorder des dérogations pour juger Jeanne à Rouen (et non à Beauvais puisque la ville était aux mains des partisans de CHarles VII, il agissait donc un peu comme un évêque in partibus) ; obtenir l'assistance de l'inquisiteur de France, Jean Graverent, ou à défaut, de son adjoint, Jean le Maître ; obtenir l'avis des meilleurs théologiens de l'époque, d'où des allers-retours entre l'Université de Paris et Rouen : en définitive, 131 religieux participèrent à un moment ou à un autre au procès de Jeanne, sans compter ceux qui furent consultés par écrit. Cette multiplication des avis dans un procès d'hérésie est tout à fait exceptionnelle ; normalement, l'évêque ne sollicitait pas l'avis de son entourage.

Le résultat de ces efforts est effectivement remarquable, sans atteindre à la somme de renseignements fournis par un procès tel celui mené au XIIIe siècle par l'évêque Fournier contre les habitants du village occitan de Montaillou : le procès de Jeanne offre un éclairage important pour une période de l'histoire plus ou moins bien connue. Il jette surtout une lumière indispensable sur la Pucelle : les autres documents nous donnent surtout l'image d'une Jeanne discrète et assez effacée ; ici il s'agit d'une Jeanne plutôt pugnace et décidée, même si certains assistants ont souligné son irrésolution et ses limites intellectuelles : elle a beaucoup varié dans ses affirmations et n'a pas compris tout ce qu'on lui expliquait, principalement la distinction entre Eglise triomphante (Dieu et ses saints) et Eglise militante (le Pape et ses évêque). Il semble aussi que la définition du mot "abjuration" lui soit largement passée au-dessus de la tête. Mais il faut prendre garde à l'interprétation du Procès de condamnation : il s'agit d'un résumé des interrogatoires, remis en forme par les notaires qui avaient enregistré les débats, et traduit en latin (et donc retraduit après en français). Les propos de Jeanne y sont rapportés à la troisième personne, tout simplement parce qu'à quelques exceptions près, il ne s'agit pas de ses propres paroles, mais de résumés des réponses qu'elle a faites à plusieurs questions. Le résumé n'est pas toujours excellent, il arrive même qu'elle fasse allusion à des réponses précédentes qui en fait ne figurent pas dans le texte.

Le souci de faire un beau procès a en tous cas épargné la torture à Jeanne : il était courant, et légal, de menacer les accusés récalcitrants de la torture ecclésiastique (qui se distingue de la torture civile en ce qu'elle n'est pas mutilante, l'Eglise ne pouvant faire couler le sang), la torture se déroulait en trois jours mais son action était à double tranchant, car l'accusé qui n'avouait pas était ipso facto réputé innocent, et devait être réhabilité en public. On pouvait évidemment craindre que l'obstination de Jeanne la pousse à ne pas avouer, mais elle avait ajouté un problème supplémentaire en déclarant préalablement que même si elle avouait pendant la torture, elle se rétracterait après ; or seuls les aveux répétés en dehors de la torture étaient valables. La décision de faire torturer Jeanne fut donc mise aux voix le 12 mai. Parmi ceux qui votèrent pour la torture, on trouve Aubert Morel, Thomas de Courcelles, Nicolas Loiselleur, parmi ceux qui votèrent contre, on compte Raoul Roussel, Nicolas de Venderès, André Marguerie, Guillaume Erart, Robert le Barbier, Denis Gastinel, Nicolas Couppequesne, Jean le Doux, Isambard de la Pierre, Guillaume Hector et Jean le Maître. Il est d'ailleurs curieux de constater que parmi ceux qui votèrent contre la torture figurent une partie de ceux qui sont comptés habituellement parmi les ennemis de Jeanne, peut-être parce qu'ils craignaient qu'elle n'avoue pas. En revanche, l'argument qui emporta la décision de Cauchon fut celui de Raoul Roussel : il serait dommage d'employer la torture, parce qu'elle déparerait un procès "aussi bien fait que l'avait été celui-ci".

Que le procès soit exemplaire ne veut pas dire que son déroulement ait été réglé comme du papier à musique. D'abord la personnalité de Jeanne a intéressé, peut-être même séduit quelques uns des assistants du procès. Certains, comme Jean de Châtillon, Jean Pigache, Pierre Minier, Jean le Fèvre ou Nicolas de Houppeville ont donc protesté contre ce procès qui n'était pas à la mesure intellectuelle de l'accusée, et un assesseur a même quitté le procès en signe de protestation (Houppeville). D'autres, comme Jean de la Fontaine, Martin Ladvenu et Isambard de la Pierre semblent avoir donné, en sous-main, des conseils à Jeanne. Cela a suffit pour provoquer, au moins une fois, la colère de Pierre Cauchon, qui aurait lancé à Isambard, d'après le témoignage de Guillaume Manchon : "Taisez vous, de par le Diable" (d'après Pierre Cusquel, cette phrase aurait été également prononcée à l'adresse d'André Marguerie au moment de constater la reprise des vêtements d'hommes par Jeanne. Marguerie voulait qu'on vérifie les raisons pour lesquelles Jeanne avait agit. Cauchon, qui n'avait peut-être pas envie de rester plus longtemps au milieu des Anglais en révolte, lui aurait dit de se taire, d'autant plus qu'un Anglais, entendant les propos de Marguerie, l'appela "traître Armagnac" et essaya de le frapper de sa lance).

Toutefois, Jeanne aurait aussi bénéficié des conseils officiels de Pierre Morisse dans la seconde partie du procès. Dans l'ensemble, ceux qui ont protesté contre la forme du procès sont rares, seuls deux ou trois assistants ont affirmé, en 1456, que Cauchon avait œuvré avec partialité, ainsi Richard de Grouchet, Isambard de la Pierre, Jean le Fèvre. Au contraire, ce qui est remarquable, c'est que les assesseurs les plus haut placés dans le procès, comme Jean Beaupère, lors du procès de réhabilitation, sont loin de se désolidariser de Cauchon, qui était mort entre temps, et soulignent que Cauchon ne cherchait pas la mort de Jeanne (André Marguerie, Pierre Bouchier, Guillaume du Désert, Pierre Miget). Certains prétexteront leur mauvaise mémoire pour éluder les questions indiscrètes et continueront, sous Charles VII, une carrière commencée sous Henri V, entre autres Thomas de Courcelles, qui prononça le discours funèbre de Charles VII, et que le pape Pie II appelait : "insigne parmi les docteurs en théologie, admirable et aimable quant à la science, modeste en même temps et plein de retenue". Courcelles avait, le 12 mai, voté pour la torture et le 19 mai pour l'abandon au bras séculier.

Lles Anglais furent finalement le principal obstacle au déroulement régulier de la procédure : l'intérêt d'un procès exemplaire ne les frappait pas. Des témoins, comme Nicolas de Houppeville, les ont accusés, lors du procès de réhabilitation, d'avoir introduit auprès de Jeanne des partisans à eux déguisés en prisonniers français (c'était vrai, notamment dans le cas de Loiseleur, qui fut dépêché, mais par Cauchon, pour jouer le rôle d'un mouton). Ces pseudo-prisonniers auraient eu pour but de conseiller à Jeanne de refuser de se soumettre au tribunal pour qu'elle soit finalement condamnée comme hérétique endurcie (c'est très peu probable dans le cas de Loiseleur ; mais on n'a pas d'assurance quant à l'existence d'autres "prisonniers"). Après l'abjuration de Jeanne au cimetière de Saint-Ouen, Cauchon fut accusé de trahison par certains Anglais, notamment un chapelain du cardinal de Winchester, qui lui aurait déclaré : "Dépêchez-vous, vous êtes trop favorable". Se mettant en colère, Cauchon jeta le procès par terre, disant qu'il agirait selon sa conscience, qu'il devait chercher le salut de Jeanne plutôt que sa mort, exigea des excuses et les obtint. Mais le lendemain, la garnison anglaise du château de Rouen fut toute la journée au bord de la mutinerie, et les religieux venus visiter Jeanne faillirent être jetés à la Seine. Lorsque la nouvelle de la relapse de Jeanne lui parvint, après qu'elle eut remis ses habits d'hommes, Cauchon lui-même dut demander une escorte au comte de Warwick pour vérifier la réalité des faits, mais il fut quand même menacé par des Anglais qui avaient tiré leur épée.

En sortant de la cellule de Jeanne, il aurait déclaré au comte : "Farewell, faite bonne chère (bon visage), c'est fait". Selon un autre témoin, il aurait parlé au comte "en exultant", mais on n'a pas de certitude absolue que ce soit cette phrase qu'il ait dite alors, ni qu'il ait exulté à ce moment : Marguerie venait de manquer d'être assassiné sous ses yeux. La mutinerie de la garnison continua quand même après la nouvelle que Jeanne était relapse : lorsque Jeanne partit au supplice, elle fut accompagnée par Loiseleur, qui lui demandait pardon pour le rôle qu'il avait joué et pleurait. Dans la cour du château ils rencontrèrent une bande d'Anglais qui faillirent tuer Loiseleur, et il dut se réfugier auprès de Warwick.

Cette ambiance houleuse explique en partie l'absence de procès civil, le bailli de Rouen, au lieu de la juger, ayant expédié Jeanne au bûcher sans plus de formalité, pendant que d'autres Anglais criaient : "Prêtres, nous ferez vous dîner ici?". En tout cas, il est certains que ce sont les gardiens anglais de Jeanne qui lui retirèrent de nuit les habits de femme qu'elle avait laissés sur son lit, et y remirent ses habits d'homme. Au passage, on peut ainsi constater que Jeanne, bien qu'elle soit réputée avoir été maltraitée par ses geôliers, se sentait toutefois assez en sécurité parmi eux pour se déshabiller, au moins partiellement, avant de se coucher.

 

© O. BOUZY